Avant que la natation ne se concentre sur la pratique en compétition (d’où l’expression « natation sportive »), quand on voulait parler de la manière de se déplacer dans l’eau, les auteurs utilisaient l’expression « Art natatoire ». On retrouve cette expression dans de nombreux ouvrages, notamment encyclopédiques, datant du 18ème et du 19ème siècle.

Au 20ème siècle, alors que les organisations de compétition devenaient de plus en plus populaires, l’expression « natation sportive » prit le pas sur l’expression « art natatoire« . Pour mémoire, les premiers jeux olympiques du Baron Pierre de Coubertin datent de 1896 à Athènes et comptaient 4 épreuves de natation. Progressivement, le focus fut mis sur la performance et la recherche de vitesse avec pour préoccupation ultime bien sûr les records du monde. Au fil des années, l’expression et la notion d' »art natatoire » devinrent dès lors quasiment obsolètes.

A l’exemple de la démarche propre aux arts martiaux, il existe également une démarche propre à la pratique de l’art natatoire qui va au-delà de la natation de loisir ou sportive et tous les nageurs qui pratiquent leur sport – je veux dire leur art (!) – avec passion et opiniâtreté ont partagé cette approche inconsciemment ou consciemment.

Rappelons quelques caractéristiques propres à la définition de l’art:
– l’art est une activité humaine, le produit de cette activité ou l’idée que l’on s’en fait, s’adressant délibérément aux sens, aux émotions et à l’intellect (cf. wikipédia).
– l’art s’incarne au travers de l’œuvre d’art.
– l’art requiert le plus souvent la maîtrise d’une technique sans faille et l’art s’inscrit dans une démarche d’apprentissage et de perfectionnement continue.
– l’art s’inscrit dans une recherche esthétique.

A partir d’un certain niveau, le nageur ne peut-il pas se retrouver dans toutes ces phrases lorsqu’il pratique la natation ? On peut par exemple parfaitement aborder la pratique des éducatifs en natation comme celle des « katas » en karaté : la recherche du geste parfait, le plus efficace, effectué avec le plus de précision possible. Le nageur se fait geste et le geste devient le nageur.

Le nageur qui inscrit sa pratique dans cette démarche n’abordera plus l’enchaînement des longueurs d’une manière lassante et mécanique mais au contraire cherchera à libérer son énergie créatrice pour délibérément stimuler ses sens, son intellect et ses émotions dans la recherche d’un éternel perfectionnement.

Fort de cet argument, peut-être que certains lecteurs imaginent déjà l’attribution de maillots ou bonnets de différents couleurs (en judo, ceux sont bien des ceintures) voire même de Dans! Nager 25 mètres en crawl en 10 coups de bras mériterait-il le 5ème dan ? Je ne pense pas qu’il faille aller vers une telle caricature.

Devoir évoluer dans le milieu aquatique, qui nous est si étranger, casse nos repères de terriens. Cela nous oblige à repenser la géométrie de notre corps et de nos mouvements, à trouver de nouveaux repères, à nous concentrer sur nos sensations et surtout à répéter inlassablement les mêmes mouvements pour parfois ne modifier qu’un infime détail afin que notre nage soit encore plus parfaite et harmonieuse; en un mot, à maîtriser notre art ! Cette recherche d’harmonie du geste ne peut aller de pair qu’avec une recherche d’harmonie intérieure et point n’est besoin de chronomètre ou d’être en pleine jeunesse pour cela. Notre corps est le seul outil nécessaire et il n’y a pas de doute qu’il saura nous remercier des longues heures passées à se muscler et s’assouplir au fil des longueurs.

Prenons dès lors ce temps consacré à la natation comme une chance formidable de recherche d’équilibre et d’harmonie. Le nageur expérimenté sait que plus il perfectionne son geste, plus il tend vers la simplicité. Le crawl est simple. Quand il est compliqué, cela signifie tout simplement que le nageur est dans l’erreur.

Abordé de la sorte, peut-être que l’art natatoire reprenant ses lettres de noblesse peut se concevoir comme une école de la vie et une voie vers la sagesse.

A chaque passionné de natation d’en tenter l’expérience !

 

PS: ce billet a également été publié dans le magazine ULTRAMAG